1984
(
Nineteen Eighty-Four)
George Orwell
1948
Quatrième de couverture
"De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d'en face. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston... Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C'était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n'avaient pas d'importance. Seule comptait la Police de la Pensée."
Avis
Vous savez combien j'adore le roman d'anticipation. Ce livre a donc été un régal à découvrir. 1984 est une dystopie. Il dépeint un monde postérieur d'une trentaine d'années à sa date d'écriture, 1948. Le monde est alors divisée en 3 Etats : Océania (Amérique +Afrique du Sud + Australie + Royaume-Uni), Eurasia (Europe + URSS) et Estasia (Asie du Sud). Ce sont tous des régimes totalitaires. Dans le livre c'est le fonctionnement de l'Océania qui nous est présenté.
♠ Le fonctionnement du Parti ♠
En Océania, Big Brother est au sommet du Parti. Bien que ça ne soit pas clairement dit dans le livre, Big Brother est en réalité une figure mythique, une allégorie du parti qui se devait d'avoir un dirigeant, même inexistant, pour que la population adhère plus profondément à son idéologie, qu'elle puisse avoir une représentation concrète de l'homme qui détient le pouvoir absolu et le vénérer. Vient ensuite le Parti intérieur (2% de la population), puis le Parti extérieur, et le Prolétariat (85% de la population). Je fais un parallélisme avec
Le meilleur des mondes, qui lui peint une vision opposée du monde, où on retrouve cette nécessité des classes sociales pour l'équilibre du système. Les slogans du Parti sont :
LA GUERRE C'EST LA PAIX
LA LIBERTE C'EST L'ESCLAVAGE
L'IGNORANCE C'EST LA FORCE
Si vous aussi ces antithèses vous font rire la première fois, en avançant dans la lecture, vous verrez qu'elles sont justifiées et mises à la sauce du Parti, la façon dont c'est argumenté est effrayante de réussite. Le Parti comporte 4 ministères. "Le ministère de la Paix s'occupe de la guerre, celui de la Vérité, des mensonges, celui de l'Amour, de la torture, celui de l'Abondance, de la famine."
Le héros Winston Smith habite dans ce qui était l'ancien Londres. Il fait partie du parti extérieur et travaille à la correction du passé : il réécrit certains discours prononcés par le Parti, modifie des chiffres, des dates, des noms, toujours dans le but de faire croire à la puissance du Parti, à créer l'illusion de la prospérité. "Le mensonge devenait la vérité". Contrairement à la majorité du peuple, Winston est capable de voir ce qui cloche en Océania. Il est assez lucide pour se rendre compte de l'absence de liberté des hommes, de la surveillance permanente du Parti, de l'illogique des slogans, de l'incohérence de certains faits historiques (l'histoire est sans arrêt falsifiée et corrigée), etc.
♠ Le culte de la guerre ♠
Le culte de la guerre est omniprésent en Océania. La guerre fait partie du quotidien du pays. Elle est nécessaire à la survie du Parti. La guerre maintient la population en pénurie, cultive la haine vis à vis de l'ennemi (et ainsi l'amour pour le Parti), fait durer l'euphorie de la victoire et l'impression de toute-puissance du Parti dans l'esprit des gens, bien que les batailles soient pour la plupart fictives.
♠ Goldstein, une figure à haïr ♠
En dehors de leurs ennemis estasiens ou eurasiens, les gens apprennent aussi à haïr le personnage de Goldstein. Si la population adule Big Brother, elle déteste Goldstein. Goldstein est l'ennemi du Parti, et chef de l'armée de la Fraternité. Tout comme Big Brother, Goldstein est une figure inventée pour les besoins de la survie du Parti, une allégorie du mal. A défaut de manipuler les sentiments des gens, s'ils doivent vénérer quelqu'un, ils doivent bien reporter leur haine sur quelqu'un d'autre. Une fois par semaine, une séance est consacrée à Goldstein appelée "les Deux Minutes de la Haine". "L'horrible, dans ces Deux Minutes de la Haine, était, non qu'on fût obligé d'y jouer un rôle, mais que l'on ne pouvait, au contraire, éviter de s'y joindre. Au bout de trente secondes, toute feinte, toute dérobade devenait inutile. Une hideuse extase, faite de frayeur et de rancune, un désir de tuer, de torturer, d'écraser des visages sous un marteau, semblait se répandre dans l'assistance comme un courant électrique et transformer chacun, même contre sa volonté, en un fou vociférant et grimaçant."
♠ La pensée sous contrôle ♠
Les sentiments, les mentalités, les pensées des gens, tout est sous contrôle, tout est suggéré, tout est manipulé dans le sens du Parti. C'est le système de la
doublepensée, qui permet à l'individu d'accepter deux faits contradictoires C'est par exemple accepter que 2+2=5. Je vous renvoie à
cette page pour plus d'infos.
"C'était un acte d'hypnose personnelle, un étouffement délibéré de la conscience". Et si quelqu'un se montre plus résistant, comme Winston, la Police de la Pensée lui fait faire un petit tour du côté du ministère de l'Amour où il sera enfermé, torturé, subira un lavage de cerveau et finira par adhérer à l'idéologie du Parti ou sera "vaporisé". Chaque individu est surveillé par un télécran, et la figure de Big Brother omniprésente le lui rappelle. La Ligue de la Jeunesse enrôle les enfants dès leur plus jeune âge pour espionner leur entourage et dénoncer les "traitres du Parti". Même le langage est remanié dans ce sens. En Océania on parle le novlangue. Des quantités de mots sont supprimés, remplacés, simplifiés.
"Le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée".
"Nous détruisons chaque jour des mots".
♠ L'Homme dénaturé ♠
Le Parti cherche à ce que toute personne lui consacre sa vie entière. Toute activité qui n'est pas utile à son fonctionnement est détruite. Par exemple,
"le Parti essayait de tuer l'instinct sexuel ou, s'il ne pouvait le tuer, de le dénaturer et de le salir".
"Le désir était un crime de la pensée". Winston se rend compte alors de la liberté dont jouissent les prolétaires.
"Les prolétaires et les animaux sont libres". Bien que leurs conditions soient plus misérables, ils ressemblent aux humains d'autrefois.
"Les prolétaires sont des êtres humains, dit-il tout haut. Nous ne sommes pas des humains". Le Parti dénature l'Homme en le transformant en espèce de compote incapable de penser seule, ce qui lui assure son immortalité. Il n'existe plus de culture, plus de sciences, plus d'histoire, plus de progrès. Sur cet aspect on rejoint d'ailleurs
Le Meilleur des Mondes. Le monde dans lequel vit Winston est
figé.
"Le monde piétine ou recule", notamment grâce à la guerre perpétuelle.
♠ Le héros, traitre du Parti ♠
Winston va commencer à écrire un journal, ce qui est normalement interdit. Il a la conviction qu'un jour, le Parti sera renversé. Il cherche comment communiquer avec l'avenir. Il va vivre une relation avec une femme, ce qui est aussi interdit. Il sait malgré tout qu'en agissant ainsi, il est d'ors et déjà un homme mort, et que le Parti le rattrapera. "Maintenant qu'il s'était reconnu comme mort, il devenait important de rester vivant aussi longtemps que possible". Ce qui doit arriver arrive... Et la fin, je pensais m'y attendre, alors que pas du tout. J'aime être surprise par la fin d'un récit, et là je n'ai pas été déçue du tout. D'un autre côté, j'ai été déçue par la fin si je me mets à la place du héros et non du message qu'a voulu faire passer Orwell. En définitive, le Parti est tout-puissant et inébranlable, son contrôle est absolu. Aucune échappatoire n'est possible pour un individu, aucune liberté d'opinion n'est permise.
Ce qui m'a frustrée, c'est qu'on ne nous révèle pas POURQUOI une tel régime a été établi. Dans l'intérêt de QUI , puisque Big Brother est une figure imaginaire ? A un moment, on est sur le point de l'apprendre, lorsque Winston lit un livre - soit-disant - écrit par Goldstein, (en vérité il a été écrit par le parti lui-même, ce qui est encore plus flippant) mais sa lecture est coupée nette. Je sais que l'effet est voulu, il n'empêche que ça restera un grand mystère pour moi xD.
♠ Parallélisme avec les totalitarismes de l'Histoire ♠
Orwell écrit 1984 en 1948. Son choix n'est peut-être pas anodin, 48, 84, vous voyez quoi. On retrouve énormément de points communs avec le régime soviétique, et à moindre mesure avec le nazisme et le fascisme. Big Brother faisant figure de grand timonier, tout comme Staline. L'enrôlement de la jeunesse dans le Parti, similaire aux Jeunesses hitlériennes. Dans le livre, lorsque des traitres du Parti sont arrêtés, ils doivent avouer toute une série de crimes qu'ils n'ont pas commis, ce qui rappelle les Grands Procès de Moscou de 1936 à 1938. Un seul Parti-Etat, la surveillance permanente de la population qu'on retrouve par la Police de la Pensée dans le livre. La réduction des libertés d'expression.
En résumé : Une dystopie génialissime, j'adore le sujet traité. "George Orwell dépeint dans le prophétique 1984 un terrifiant monde totalitaire", pour reprendre la quatrième de couv'.
Extraits
* "Dans la solitude fermée où chacun devait vivre."
* "d'une stupidité paralysante, un monceau d'enthousiasmes imbéciles, un de ces esclaves dévots qui ne mettent rien en question et sur qui, plus que sur la Police de la pensée, reposait la stabilité du Parti."
* "perdu dans un monde monstrueux dont il devenait lui-même le monstre. Il était seul."
* "pédantisme passionné"
* "Vous ne saisissez pas la beauté qu'il y a dans la destruction des mots. Savez-vous que le novlangue est est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année ?"
* "Un de ces jours [...] Syme sera vaporisé. Il est trop intelligent. Il voit trop clairement et parle trop franchement. Le Parti n'aime pas ces individus là."
* "C'étaient des corps qui attendaient d'être renvoyés à leur tombe."
* "monstrueuse et solide comme un colonne romane"
* "Il s'enfonça plus profondément dans son fauteuil et posa ses pieds sur le garde-feu. C'était le bonheur, c'était l'éternité."
* "Mourez-vous quand vous vous coupez les ongles ?"
* "Si vous désirez une image de l'avenir, imaginez vous une botte piétinant un visage humain... éternellement."
* "Si vous êtes un homme, Winston, vous êtes le dernier. Votre espèce est détruite."
* "Mourir en les haïssant, c'était ça la liberté."