"Le monde n'est qu'un amas de taches confuses, jetées sur le vide par un peintre insensé, sans cesse effacées par nos larmes." Nouvelles Orientales - Yourcenar

Publié dans : Romans XX°

le 5/12/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/ZWEIG2.jpgLa confusion des sentiments
(Verwirrung der Gefühle)
Stefan Zweig
1927

Quatrième de couverture
Au soir de sa vie, un vieux professeur se souvient de l'aventure qui, plus que les honneurs et la réussite de sa carrière, a marqué sa vie. A dix-neuf ans, il a été fasciné par la personnalité d'un de ses professeurs ; l'admiration et la recherche inconsciente d'un Père font alors naître en lui un sentiment mêlé d'idolâtrie, de soumission et d'un amour presque morbide.
Freud a salué la finesse et la vérité avec laquelle l'auteur d'Amok et du Joueur d'Echecs restituait le trouble d'une passion et le malaise qu'elle engendre chez celui qui en est l'objet. Paru en 1927, ce récit bref et profond connut un succès fulgurant, en raison de la nouveauté audacieuse du sujet. Il demeure assurément l'un des chefs-d'œuvres du grand écrivain autrichien.

Avis
Tout est à peu près dit dans la quatrième de couverture. J'ai retrouvé cette écriture si spécifique à Zweig, où les sentiments sont décrits avec une justesse déconcertante, et toujours cette sensibilité à fleur de peau qui caractérise ses personnages, avec le refoulement des émotions, le contrôle permanent (je pense à Lettre d'une inconnue notamment). Outre l'intensité des sentiments, le thème de cette nouvelle qui à l'époque apparaît plus qu'original. On se demande tout le long de l'histoire quel secret se cache derrière ce professeur si énigmatique, quel secret explique son comportement tantôt chaleureux et affectif, tantôt froid et repoussant (parce que nous aussi lecteur, on devient fasciné par le professeur). Et au final quand la vérité est révélée, on ressent plus que profondément le trouble du narrateur, la "confusion des sentiments" à son paroxysme, puisque c'est bien de ça qu'il s'agit. C'est choquant, cela va à l'encontre de tous les codes, il fallait l'oser.

En revanche ce à quoi j'ai moins adhéré, c'est que le récit du narrateur est rétrospectif et son histoire est censée justifier l'homme qu'il est devenu aujourd'hui. Je m'attendais à quelque chose de plus long, enfin, je n'ai pas vraiment vu le rapport entre ces deux "temps", ou plutôt, ce n'était pas forcément justifié de faire un deuxième temps de récit , parce qu'on n'y revient que très brièvement à la fin. Alors soit, cet épisode a marqué sa vie plus que toute autre chose, mais ça ne se ressent pas lorsqu'il est plus vieux.

En résumé : A chaque fois que je referme un livre de Zweig, j'ai l'impression de quitter une tempête d'émotions ; encore du très, très bon.


Extraits

* "Tout y est vrai, il n'y a que l'essentiel qui y fasse défaut. Il me décrit, mais sans parvenir jusqu'à mon être. Il parle de moi sans révéler ce que je suis."

* "bourreau auquel, malgré tout, j'étais attaché avec amour, que je haïssais en l'aimant et que j'aimais en le haïssant"

* "un voile épais et sombre était interposé entre moi et l'univers"

* "Aucune souffrance n'est plus sacrée que celle qui par pudeur n'ose se manifester."

Publié dans : Romans XX°

le 13/11/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/thanatonautes-copie-1.jpgLes Thanatonautes
Bernard Werber
1994

Challenge Livraddict 2010 : 6/7

Quatrième de couverture
L'homme a tout exploré : le monde de l'espace, le monde sous-marin, le monde souterrain ; seul le continent des morts lui est inconnu. Voilà la prochaine frontière. Michael Pinson et son ami Raoul Razorbak, deux jeunes chercheurs sans complexes, veulent relever ce défi et, utilisant les techniques de la médecine comme celles de l'astronautique, ils partent à la découverte du paradis. Leur dénomination ? Les thanatonautes. Du grec Thanatos (divinité de la mort) et nautès (navigateur). Leurs guides ? Le livre des morts tibétain, le livre des morts égyptien mais aussi les grandes mythologies et les textes sacrés de pratiquement toutes les religions. Peu à peu les thanatonautes dressent la carte géographique de ce monde inconnu.
En Dante moderne, Bernard Werber nous emmène dans un voyage époustouflant.

Avis
Première fois que je lis un livre de l'ami Bernard Werber. Je m'étais préparée à quelque chose pour "grand public", vu l'engouement qu'il suscite chez les jeunes. Et pour cette raison je suis toujours plus méfiante que d'habitude, de peur que moi, ça ne me plaise pas. Et bien pas du tout ! Ce livre m'a énormément plu, dès le début j'étais dedans et suivais avec intérêt la découverte de ce "continent ultime".

Le livre tente de répondre à la question "Qu'est ce que la mort ?". Pour cela, Werber s'appuie sur les textes sacrés de presque toutes les religions, ce qui donne de la crédibilité au récit. On a sans cesse un aller-retour entre le récit et ces extraits de textes religieux, qui sont dans l'histoire regroupés dans la thèse de Francis Razorbak (le père de Raoul) "La mort cette inconnue" . Werber tente d'interpréter les métaphores employées, de rejoindre les bouts de chaque religion, et au final ça donne un truc assez crédible. C'est comme un gros melting-pot des religions. On a donc une approche "mystique" de la mort. En parallèle, dans le récit même, on en a une approche beaucoup plus scientifique grâce à Michael Pinson, Raoul Razorbak et toute leur équipe. Je serais bien tentée de vous faire un petit dessin du contient des morts tiens, m'enfin ça vous gâcherait tout le plaisir de la découverte.

C'est un livre qui parle de la mort, et pour cela qui s'appuie sur la religion, la science, la fiction, l'Histoire, la vie, la société. Bernard Werber est un touche-à-tout et on sent qu'il s'amuse avec. Bon certes, à des moments c'est très manichéen, très simpliste, le ton est bon-enfant, mais le but du bouquin n'est pas de présenter une thèse sérieuse à lire au premier degré. Cette histoire m'a rappelée La grammaire est une chanson douce, d'Erik Orsenna, où là aussi c'est la découverte d'un nouveau continent.

Ce livre est le premier volume du Cycle des anges. J'ai tout simplement hâte de me plonger dans le second volume, L'Empire des anges, vu sur quelle fin on nous laisse... !

En résumé : J'ai aimé ce livre, si riche, qui joint religion, mythologie, science et fiction, et nous fait découvrir un continent des morts bien étonnant...


Extraits

* "Face à des hommes des cavernes, je suis impuissant."

* "Si quelqu'un t'a offensé, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière et tu verras passer son cadavre." Lao-tseu

* "J'ai même pensé : je suis dans un trou du cul translucide."

* "Celui qui sait ne parle pas. Celui qui parle ne sait pas." Lao-tseu

* "La gentillesse est juste un confort pour être tranquille."

* "Le plus subtil châtiment pour un abominable criminel de guerre, c'est bien de le réincarner en bonzaï japonais."

* "Le sage cherche la vérité. L'imbécile l'a déjà trouvée."

* "La bonté imposée, c'est aussi écoeurant que la soupe de mash-mellows au miel et au sirop de grenadine."

* "On se blase de tout."

Publié dans : Romans XX°

le 1/9/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/netirezpassurloiseaumoqueur2.jpgNe tirez pas sur l'oiseau moqueur
(To kill a mockingbird)
Harper Lee
1960

Challenge Livraddict 2010 : 5/7

Quatrième de couverture
Dans une petite ville d'Alabama, au moment de la Grande Dépression, Atticus Finch élève seul ses deux enfants, Jem et Scout. Avocat intègre et rigoureux, il est commis d'office pour défendre un Noir accusé d'avoir violé une Blanche.

Ce bref résumé peut expliquer pourquoi ce livre, publié en 1960 - au coeur de la lutte pour les droits civiques des Noirs aux Etats-Unis -, connut un tel succès. Mais comment ce roman est-il devenu un livre culte dans le monde entier ? C'est que, tout en situant son sujet en Alabama dans les années 1930, Harper Lee a écrit un roman universel sur l'enfance. Raconté par Scout avec beaucoup de drôlerie, cette histoire tient du conte, de la court story américaine et du roman initiatique.

Avis
J'ai beaucoup aimé ce livre dès le début ; j'ai immédiatement été entrainée par l'histoire. On a le plaisir de replonger en enfance, aux côtés de Scout (c'est une fille je précise, parce qu'au début c'était pas clair pour moi x) ), Jem et Dill, qui cherchent à tout prix à faire sortir Boo Radley de chez lui. Atticus, le père de Jem et Scout, s'efforce de leur donner la meilleure éducation possible. En plus d'être un père remarquable, c'est une figure respectueuse, sage et avisée, comme un point de repère parmi tous les habitants de Maycomb. C'est le personnage qui m'a semblé le plus "proche" de notre époque, car ouvert d'esprit et qui pense -entre autre- que la ségrégation raciale n'a pas lieu d'être.
 
♠ Le procès
A cette époque en Alabama, être un Blanc et défendre un Noir est extrêmement mal vu. Pourtant Atticus (avocat de profession) devra s'y coller, et ce plus par morale que par devoir : "Comment pourrai-je regarder mes enfants en face si je n'essaye pas ?". Le procès durera une bonne partie du livre, et malheureusement comme Atticus le dit : "Dans nos tribunaux, quand c'est la parole d'un homme blanc contre celle d'un Noir, c'est toujours le Blanc qui gagne. C'est affreux à dire mais c'est comme ça". Même si le dénouement semble prévisible, certains ont la conviction que ce procès a contribué à faire avancer le combat pour l'égalité entre Noirs et Blancs.
 
♠ La fin
Dans ce livre, Scout apprend que les gens ne sont pas ce qu'ils semblent être : leurs voisines Miss Maudie, Mrs Dubose, Mr Raymond..., et surtout Boo Radley. "Atticus avait raison. Il avait dit un jour qu'on ne connaissait vraiment un homme que lorsqu'on se mettait dans sa peau. Il m'avait suffi de me tenir sur la véranda des Radley." Elle apprend à tourner le dos à certains préjugés, à des comportements à adopter en fonction de telle ou telle personne (Blanc vis à vis de Noir par exemple), pour se faire elle même sa propre opinion des choses et des gens. J'ai adoré la fin, avec un portrait beau et frappant (je ne vous dirai pas de qui), qui a été renforcer toute l'opinion que je me faisais du livre pendant ma lecture. Enfin, à la fin, on comprend de quoi Scout parlait à la toute première page.

♠ Où il est question d'oiseau moqueur
Qui est-ce ? Trois fois j'ai cru comprendre le titre. Trois fois ce sont des sens différents qui sont apparus. La première fois où il est fait référence à un oiseau moqueur, c'est un ordre d'Atticus à Scout qui lui demande de ne pas tirer dessus avec sa carabine. Mais la deuxième et la troisième fois, il s'agit de deux autres personnes (je ne vous dis pas qui non plus, sinon aucune surprise!), et il faut alors voir ce titre comme une métaphore. Et quand on comprend de qui il s'agit, cela donne tout son sens au livre. Le titre résume alors à lui seul le côté lutte pour les droits civiques des Noirs et le côté "roman universel sur l'enfance".

En résumé : Un très beau roman sur l'enfance, mais qui soulève aussi la question de la ségrégation raciale. Beaucoup aimé !


Extraits
* "On va faire un bébé de neige ?"

* "Un coeur joyeux rend le visage serein."

* "Par ici, quand tu as une seule goutte de sang noir, tu deviens tout noir."

* "jouait de sa voix comme d'un orgue"

Publié dans : Romans XX°

le 2/7/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/lasymphoniepastoralecouv.jpgLa symphonie pastorale
André Gide
1919

Résumé
Un pasteur marié d'un petit pays du Jura tient un journal. Il recueille chez lui la jeune Gertrude, aveugle de naissance. Pendant plusieurs années, le pasteur fait au mieux pour élever cette pauvre jeune fille. Jusqu'au jour où il comprend qu'il est amoureux d'elle. Jacques, son fils, a deviné les sentiments de son père à l'égard de Gertrude. Le problème : il est lui-même amoureux de la jeune fille. Un roman d'amour et de raison.  (trouvé sur Evene)

Avis
Alors voilà, on a du lire ce livre en cours, et je n'ai pas du touuut aimé. Au lieu d'éprouver de la pitié ou au moins de l'empathie pour Gertrude, je n'ai vu qu'une sainte-nitouche hypocrite qui profite de sa situation. Quand elle est aveugle, elle pense aimer le pasteur vieux et moche, et finalement quand elle retrouve la vue elle aime le fils Jacques qui est (bizarrement) jeune et beau. Facile. Je n'ai pas été touchée du tout par la relation entre le pasteur et l'aveugle, qui ressemblait surtout à une relation docteur/malade pour moi. C'est surtout le pauvre pasteur qui m'a fait pitié, à tant s'être dévoué pour elle puis se faire jeter.
Je me souviens cependant d'un passage qui m'avait bien plu, quand justement Gertrude écoute une symphonie (je ne sais plus laquelle, genre de Mozart, Beethoven ou autre), c'est comme une "explosion" de ses sens, quelque chose de nouveau qui se révèle à elle, et finalement tout le livre est peut-être axé autour de ce moment (d'où le titre...). Je comprendrais très bien que certains aient aimé ce livre, parce qu'il mérite de l'être, l'écriture de Gide est maîtrisée et intéressante, il y a quelque chose à exploiter au niveau des sentiments, mais moi ça ne m'a pas plu.

En résumé : Je n'ai pas du tout été prise par l'histoire ni touchée par les sentiments des personnages ; un très mauvais souvenir de lecture.

Publié dans : Romans XX°

le 28/6/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/levieuxquilisaitdesromansdamour.jpg Le vieux qui lisait des romans d'amour
(Un viejo que leía novelas de amor)
Luis Sepúlveda
1989

Quatrième de couverture
Antonio José Bolivar connaît les profondeurs de la forêt et ses habitants, le noble peuple des Shuars. Lorsque les villageois d'El Idilio les accusent à tort du meurtre d'un chasseur blanc, le vieil homme quitte ses romans d'amour - seule échappatoire à la barbarie des hommes - pour chasser le vrai coupable, une panthère majestueuse...

Avis
Je n'aurais jamais cru autant aimer ce livre. On découvre un univers complètement différent du notre, une immersion dans la forêt amazonienne. C'est un monde beaucoup plus sauvage, pauvre, rudimentaire, isolé du monde, dont sa seule liaison avec l'extérieur est un bateau qui livre les marchandises (et accessoirement un dentiste). C'est ce dentiste qui fournit les romans d'amour au vieux Antonio José Bolivar. Ce personnage est très intéressant car il présente deux facettes complètement opposées. D'un côté, il connaît la forêt mieux que personne, sait suivre des animaux à la trace, il sait comment se débrouiller pour survivre et tendre des pièges aux animaux. On pourrait le voir seulement comme un chasseur ou un sauvage, mais c'est là qu'on se trompe. Ce personnage aime lire les romans d'amour. Il est tout ému en commençant son roman, il lit et relit chaque phrase pour mieux la savourer. La lecture de ses romans passe avant même la traque de l'animal et c'est touchant sans trop l'être.

Antonio José Bolivar est le seul du coin qui puisse trouver la bête qui a déjà tué 4 hommes. J'ai adoré le dernier chapitre, moment de son face à face avec la femelle ocelot (espèce de panthère/ tigre/chat sauvage d'Amérique latine). Pendant la nuit avant leur rencontre, j'ai bien aimé le fait qu'on ait accès aux pensées du vieux. Lui qui a vécu dans la forêt, il a acquis une certaine philosophie et une certaine sagesse : il ne tue pas pour le plaisir de tuer, ni pour le mérite d'avoir tué. Il sent que la femelle le considère comme son rival. Au moment de leur face à face, il comprend en fait que la femelle l'a attiré jusqu'à son mâle agonisant. Celui-ci a été blessé par un étranger (un gringo) et manifestement Antonio Bolivar doit mettre fin à sa douleur. Ce passage m'a serré la gorge, ça m'a fait tout bizarre. J'ai aussi beaucoup aimé la manière dont le vieux parlait de la grâce de la femelle ocelot, de son intelligence. Leur "relation" est très particulière, c'est une histoire qui sort de l'ordinaire, brutale et tendre à la fois.

Depuis quelque temps je me dis qu'il faut que je m'attaque à la littérature d'Amérique Latine. Ca dépayse complètement, c'est une toute autre réalité là bas. Et sinon je voulais aussi mentionner le fait que j'adore le tableau sur la couverture, le Douanier Rousseau étant un de mes peintres préférés comme vous avez pu le constater ici et .

En résumé : Une superbe histoire dans un cadre atypique, j'ai énormément aimé. 


Extraits
* "C'est la faute au gouvernement si tu as des dents pourries et si tu as mal."

* "Sa femme le tuera. Elle fait des provisions de haine, mais elle n'en a pas encore assez."

* "Ils fumèrent et burent encore, en regardant couler l'éternité verte du fleuve."

* "Quand un passage lui plaisait particulièrement, il le répétait autant de fois qu'il l'estimait nécessaire pour découvrir combien le langage humain pouvait être aussi beau."

* "Dans la mémoire où s'enracine le chiendent de la solitude."

* "Il savait lire. Ce fut la découverte la plus importante de sa vie. Il savait lire. Il possédait l'antidote contre le redoutable venin de la vieillesse. Il savait lire. Mais il n'avait rien à lire."

* "Si c'était cela, un baiser ardent, alors le Paul du roman n'était qu'un porc."

* "-Excuse-moi, camarade. Cette ordure de gringo nous a tous gâché la vie. Et il tira.
Il ne voyait pas la femelle mais il la devinait au-dessus de lui, cachée, secouée par des sanglots presque humains."


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