"Il s'enfonça plus profondément dans son fauteuil et posa ses pieds sur le garde-feu. C'était le bonheur, c'était l'éternité." 1984 - Orwell

Publié dans : Romans XX°

le 7/3/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/Livres/vian.jpgL'Arrache-coeur
Boris Vian
1953

Challenge ABC : 18/26

Quatrième de couverture
Voilà un coin de campagne où l'on a de drôles de façons...La foire aux vieux, par exemple. Curieuse institution ! On sait bien aussi que tous les enfants peuvent voler comme des oiseaux dès qu'ils étendent leurs bras - mais est-ce une raison suffisante pour les enfermer derrière des murs de plus en plus hauts, de plus en plus clos ? Le psychiatre Jacquemort se le demande - puis ne se le demande plus, car il a trop à faire avec la honte des autres, qui s'écoule dans un bien sale ruisseau.
Mais nous, qui restons sur la rive, nous voyons que Boris Vian décrit simplement notre monde. En prenant chacun de nos mots habituels au pied de la lettre, il nous révèle le monstrueux pays qui nous entoure, celui de nos désirs les plus implacables, où chaque amour cache une haine, où les hommes rêvent de navires, et les femmes de murailles.

Avis
Ce fut un plaisir de retrouver cette même poésie que dans L'écume des jours, livre qui m'avait fait découvrir Vian. Un univers déboussolant, déstabilisant (une foire aux vieux, des enfants qui volent, des spectacles de Luxe ; on a jamais vu ça) où l'imagination s'immisce dans la réalité. Ce mélange de poésie et de noirceur à la fois, peut-être même encore plus accentué ici quand dans l'Ecume des jours, détourne la réalité pour en proposer une autre, mais bien plus proche de nous qu'elle n'y paraît.

Au début, on est un peu choqué de ce qui se passe au village, il y a un ou deux passages vraiment durs à lire. On a le même regard que Jacquemort, qui découvre avec horreur et honte le fonctionnement du village. Mais le plus effrayant c'est que personne hormis le nouveau venu ne semble être gêné de frapper les apprentis, de torturer les bêtes, etc. Puis au fur et à mesure, tout comme Jacquemort, on s'habitue. J'ai trouvé la fin un peu plus lente, et surtout concentrée sur les enfants de Clémentine, le village et le psychiatre étant mis de côté.

J'ai adoré les délires de Vian avec la langue, comme par exemple son emploi excessif du trémas sur tous les noms "Citroën, Jeän, La Gloïre, l'Hömme...", ainsi que certains néologismes comme le mélange des mois : " 87 avroût, 132 juillembre..." qui donne au temps une dimension longue, longue, et déréglée comme tout le livre.

Je n'ai pas vraiment réussi à comprendre le titre. L'"arrache-coeur". S'agit-il de Jacquemort, psychiatre "vide" et qui a besoin de psychanalyser les gens pour se remplir ? Ou bien de Clémentine, qui aime tellement ses enfants qu'elle les enferme de peur qu'il ne leur arrive quelque chose ? S'agit-il des villageois, sans aucune valeur morale, qui payent La Gloire pour avoir honte à leur place ? En fait, ça doit être tout cet univers...

En résumé : Encore un magnifique mélange de poésie et de noirceur que nous livre Vian pour décrire la réalité profonde de notre monde.


Extraits
* "Il était follement simple." Et plus loin : "voluptueusement banal."

* "C'est une église, pas un arrosoir."

* "On ne reste pas parce qu'on aime certaines personnes ; on s'en va parce qu'on en déteste d'autres."

* "Ses feuilles en lame de poignard."

Publié dans : Romans XXI°

le 23/2/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/Livres/teule.jpgLe magasin des suicides
Jean Teulé
2007

Challenge ABC : 17/26

Quatrième de couverture
Vous avez raté votre vie ? Avec nous, vous réussirez votre mort !
Imaginez un magasin où l'on vend depuis dix générations tous les ingrédients possibles pour se suicider. Cette petite entreprise familiale prospère dans la tristesse et l'humeur sombre jusqu'au jour abominable où surgit un adversaire impitoyable : la joie de vivre...

Avis
L'autre jour, quand je suis allée acheter Le Magasin des Suicides et L'arrache-coeur, ma mère m'a demandé si j'allais bien. Mais vous l'aurez compris, ce titre est trompeur, et l'auteur lui-même joue avec ses clichés de famille lugubre et dépressive qui vend du cyanure et des lames de rasoir. A mon sens, le pessimisme qui pèse sur la famille n'est que le reflet du pessimisme que nous adoptons quotidiennement ("marre des cours, putain il pleut, avance trouducu"...). Un humour noir que j'ai donc beaucoup apprécié, malgré une écriture qui parfois m'a parue trop "enfantine".
Le magasin des suicides se situe dans une époque futuriste où les informations à la télé sont en 3D, où la couche d'ozone a quasiment disparue, l'avancée du désert menace les villes, et des pluies toxiques s'abattent fréquemment. Etant donné l'état actuel du monde, c'est ce qui s'appellerait l'ironie du sort.
Pour terminer, la fin est vraiment surprenante, mais je vais m'arrêter là pour vous laisser en suspens hé ouais.

En résumé : Une histoire amusante façon famille Adams, qui pointe avec humour le pessimisme de notre époque.


Extraits
* "Combien de fois faudra-t-il te le répéter ? On ne dit pas "au revoir" aux clients qui sortent de chez nous. On leur dit "adieu" puisqu'ils ne reviendront jamais."

* "- Est-ce qu'on peut payer...
- A crédit ? demande le commerçant. Chez nous ? Vous plaisantez, pourquoi pas une carte de fidélité !"

Publié dans : Romans XIX°

le 22/2/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/Livres/camelias.jpgLa Dame aux camélias
Alexandre Dumas fils
1848
 
Challenge ABC : 16/26

Quatrième de couverture
Armand et Marguerite vivent un amour immense qui survit à tout les obstacles et à toutes les tromperies. Le père d'Armand interdit cet amour inconvenant. Mais rien n'aura empêché le bonheur d'aimer, la virginité retrouvée, l'argent et les conventions dédaignés. L'amour véritable, c'était pour Marguerite l'espoir, le rêve et le pardon de sa vie. Tout lui fut donné, mais à quel prix !
Ce roman, dont Alexandre Dumas fils tira aussi un drame, est inspiré de l'existence authentique de Marie Duplessis. Merveilleusement belle et intelligente, cette courtisane fut adoré du Tout-Paris et de l'auteur lui-même. Il dut renoncer à elle, car il n'était pas assez riche. Verdi fit de ce drame un opéra sublime, La Traviata.

Avis
On vit une passion amoureuse tissée de sentiments très forts : jalousie, vengeance... A certains moments, j'ai douté de l'honnêteté de Marguerite, mais où serait l'intérêt de l'histoire si elle menait ce pauvre Armand en bateau ? On ne voit plus la Dame aux camélias (Marguerite) comme une simple "femme entretenue", mais un personnage des plus sensibles qui soient, une femme qui a retrouvé pendant quelques temps son honneur et sa dignité auprès de son véritable amour. Ouh ça fait vraiment cucu c'que je dis là. Bref, encore une histoire d'amour aux sentiments forts et paradoxaux comme il en existe tant d'autres ; pour prendre des exemples récents, ça m'a rappelé Pretty Woman et Moulin Rouge.

En résumé : J'ai assez aimé, bien que les histoires d'amour impossible soient très courantes en littérature et finissent par me lasser.


Extrait
"Mais à qui croyez-vous donc avoir affaire ? Je ne suis ni une vierge ni une duchesse. Je ne vous connais que d'aujourd'hui et ne vous dois pas compte de mes actions. En admettant que je devienne un jour votre maîtresse, il faut que vous sachiez bien que j'ai eu d'autres amants que vous. Si vous me faites déjà des scènes de jalousie avant, qu'est-ce que ce sera donc après, si jamais l'après existe !"

Publié dans : Romans XX°

le 12/2/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/Livres/Lamiretrouve.jpg L'ami retrouvé
Fred Uhlman
1971

Challenge ABC : 15/26

Quatrième de couverture
Âgé de seize ans, Hans Schwarz , fils unique d'un médecin juif, fréquente le lycée le plus renommé de Stuttgart. Il est encore seul et sans ami véritable lorsque l'arrivée dans sa classe d'un garçon d'une famille protestante d'illustre ascendance lui permet de réaliser son exigeant idéal de l'amitié, tel que le lui fait concevoir l'exaltation romantique qui est souvent le propre de l'adolescence. C'est en 1932 qu'a lieu cette rencontre, qui sera de courte durée, les troubles déclenchés par la venue de Hitler ayant fini par gagner la paisible ville de Stuttgart. Les parents de Hans, qui soupçonnent les vexations que subit le jeune homme au lycée, décident de l'envoyer en Amérique, où il fera sa carrière et s'efforcera de rayer de sa vie et d'oublier l'enfer de son passé. Ce passé qui se rappellera un jour à lui de façon tragique.

Avis
Une courte histoire, agréable à lire. On peut facilement se retrouver dans le personnage de Hans et sa définition de l'amitié. L'expression de ses sentiments, "l'exaltation romantique" comme dit le résumé, m'a fait sourire car il m'a vraiment rappelé moi à une époque. Leur amitié se développe dans une bulle, ils vivent leur relation coupés de tout. Après je n'ai pas grand chose de plus à ajouter sur ce livre. Je n'ai pas vraiment été embarquée par l'histoire, du fait qu'elle soit très courte sans doute. La fin est surprenante, inattendue. Comme quasiment tout le monde, j'ai lu ce livre dans le cadre du challenge ABC parce que je n'avais pas d'idée d'auteur en U. Bilan : je chercherai mieux l'année prochaine.
 
En résumé : Mouais.


Extrait
"Réclamer la Palestine après deux mille ans n'avait pas pour lui plus de sens que si les Italiens revendiquaient l'Allemagne parce qu'elle avait été jadis occupée par les Romains."

Publié dans : Romans XX°

le 10/2/10

http://milkymoon.cowblog.fr/images/Livres/ladisparitiondegeorgeperec.gif La disparition
G.P.
1969


Concours ABC : 14/26

Trahir qui disparut, dans La disparition, ravirait au lisant subtil tout plaisir. Motus donc, sur l'inconnu noyau manquant - « un rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal » -, blanc sillon damnatif où s'abîma un Anton Voyl, mais d'où surgit aussi la fiction. Disons, sans plus, qu'il a rapport avec la vocalisation. L'aiguillon paraîtra à d'aucuns trop grammatical. Vain soupçon : contraint par son savant pari à moult combinaisons, allusions, substitutions ou circonclusions, jamais G.P. N'arracha au banal discours joyaux plus brillants ni si purs. Jamais plus fol alibi n'accoucha d'avatars si mirobolants. Oui, il fallait un grand art, un art hors du commun, pour fourbir tout un roman sans ça !

Avis
Voilà un roman qui m'apparaît plus qu'original. Un parfait duo liant un fond à "l'incisif plaisir du bon mot". Loin d'avoir un charabia sibyllin, un galimatias confus, un imbroglio, G.P montra ici non sans brio qu'on pouvait obscurcir, assombrir à jamais l'inscription qui nous suivait, paraissant comme la Damnation, dans tout mot. Pari contraignant, mais il voila "un rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal". Quant au brillant plan du roman ; avatars aussi furtifs qu'attachants, puis un fatal sort qui nous apparaît à la fin trop clair. Bravissimo donc, au grand scribouillard d'Oulipo.


Citations
* "Un charabia sibyllin, un galimatias diffus. Un imbroglio."

* "Un sanglot aussi long qu'un violon automnal."

* "mis sur son vingt-huit plus trois"

* "Nom d'un Toutou !"

* "Marchons, marchons ! D'un sang impur irriguons nos sillons."

* "Pourquoi toujours vouloir unir un Pourquoi à la Mort ?"

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En savoir plus

 Après m'être pliée à cet exercice, rien n'est plus vrai que l'aphorisme de Boileau : ce qui ce conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire viennent bien plus aisément. Vous n'avez sans doute rien compris à mon charabia, don't worry, je me trouvais dans le même état après la lecture du résumé. Sachant le défi que s'était fixé Perec, au début je dois dire que je guettais les mots du coin de l'oeil, je les attendais avec retenue, j'étais attentive à la manière dont l'écrivain allait s'y prendre pour tenir 300 pages. Je prêtais plus attention aux mots eux mêmes qu'au sens de l'histoire. Au fil des pages, je me suis finalement faite à l'idée qu'une voyelle manquait au bouquin et que Perec était un pur génie, l'histoire m'est alors apparue aussi impressionnante que le défi de l'auteur. Tout est lié. La forme est au service du fond. On a à faire à une succession de morts "inexplicables" des personnages. Le roman se construit tel une enquête, on avance de révélations en révélations, le tout sur un style léger, qui ne se prend pas du tout au sérieux. J'ai vraiment trouvé ce livre excellent, transcendant. Par ses inventions, ses détours de la langue pour arriver à s'exprimer tout en respectant son pari, Perec m'a également fait réfléchir sur les mots, leur utilisation, leur étymologie, leur sens. L'auteur faisait parti de l'OuLiPo ; Ouvroir de Littérature Potentielle, dont Queneau que j'adore était aussi un membre.
Il paraitrait que "la disparition" du e pourrait être mise en relation avec la disparition des parents de l'écrivain durant la guerre.
Si une autre oeuvre lipogrammatique ("à qui il manque une lettre ») vous intéresse, il existe si je puis dire l'opposé du livre : Les Revenentes.

En résumé : Un livre extravagant et intelligemment construit, à s'y plonger sans plus attendre. Surement une de mes meilleures lectures.

 

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